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Aimons-nous vivants

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Aimons-nous vivants

Il y a 5 ans, mon père disparaissait. Après une maladie à la fois longue et courte. Après une vie où l’on n’aura jamais su se trouver. S’aimer. S’aimer vraiment.  

Quelques lignes en ce jour anniversaire.

Avec comme un rappel et un mot d’ordre : « Aimons-nous vivants. »

(Je crois que le choix de ce titre de chanson l’aurait fait sourire en coin.)

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Il y a 5 ans tout rond, 9 h, le téléphone sonne.
« Ton père est mort ».

Ma tante fait dans le laconique.
Quoi rajouter ? Ton père est mort. Mon père est mort.

2 jours que j’ai vu, pour la dernière fois. Que j’ai été le voir. Poussée par un autre homme, celui qui partage ma vie alors et depuis.

Mon père, lui, la baraque, lui le maçon, lui l’armoire à glace, avait l’air d’un petit vieux. Il avait pris les airs de son père.

Quand j’étais allée le voir pour cette dernière visite – dont j’ignorerais qu’elle serait la dernière -, on a souri. Je lui avais apporté un bouquin, comme d’hab. Un bouquin qui racontait 39-45 ou un San Antonio. Il m’avait regardé de ses yeux marron souriants, il m’avait soufflé, dans un rire : « Ah ! Ouf ! Pas un roman à l’eau de rose, comme m’en apporte ma frangine ! » Et il s’était retourné pour mettre sur son nez son masque à gaz de vie.

On avait presque failli éclater de rire. Presque. Lui pouvait pas et moi non plus.
A le voir, là, comme ça, soufflant expirant dans son truc en plastique, là si amaigri, si gris, là, dans cet hôpital où se mourraient des vieux vraiment vieux, j’ai pas trop eu le cœur à rire.

Et il s’est barré, envolé, tout seul dans la nuit.
Je l’ai espéré soulagé. Il m’avait dit tant de choses que je n’aurai pas voulu entendre.

Il a fallu l’enterrer, préparer la messe. Il y tenait. Sa nouvelle famille y tenait.
A cette cérémonie-là, sa dernière, j’ai évoqué l’homme, l’enfant, le père, le chasseur et le pécheur qu’il avait pu être. Pas pour blâmer, pas pour (me) plaindre.

J’ai vu certains visages pâlir, certains osciller sur leur banc. Quelques-uns ont hoché la tête. D’autres sont venus me féliciter. Le curé, lui, était un peu interloqué. (« Qu’avez-vous dit ? Vous avez parlé de maltrai… – tance (il n’osait pas finir le mot) »).
Oui, j’ai évoqué mon père comme l’enfant maltraité qu’il avait été. Et qui n’avait pas su se défaire de ses démons.

Un homme (de sa génération, un ex-copain) m’a avoué, il y a quelques semaines, avoir été choqué par mes mots d’alors.

Ah ? […] Mais pour mon père, je me devais un peu de vérité. Je crois qu’il avait cette exigence morale-là. Mes derniers mots, à cette homélie païenne, étaient repris d’une chanson populaire : « Aimons-nous vivants. » Qu’on se le dise. Salut, mon vieux. Salut, mon pater ! Et dans la prochaine vie, souhaitons-nous de savoir nous trouver, vraiment.

revue de presse Johanne Gicquel

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Artiste

artiste autrice écolo, tendance féministe. Citoyenne quoi. Adore la musique, les bouquins, mes mômes et mon chat.
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