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superflu vital

chez le notaire, entre essentiel et superflu

résumé

Superflu vital. Johanne Gicquel. Raconter la vie tout court. Le père envolé, le notaire volubile et ses considérations philosophiques.

contexte

En 2019, je perdais mon père. Il était malade. On était allés voir, quelques mois plus tôt, son  notaire. Le covid n’était pas encore passé par là – avec ses restrictions et ses essentiels. Pourtant.

superflu vital johanne gicquel

Non essentiel mais vital

Y’a trois ans, j’allais voir mon notaire. Enfin, mon. Celui de mon père. Avec mon père. Il (mon « vieux », comme il se disait) voulait mettre ses affaires en ordre – il aimait pas les papiers, le paternel.

Accueil. Bonjour ! Comment allez-vous. Question habituelle. Qui prend un sens un peu bizarre quand tu viens là pour mettre tes papiers en ordre.

Le notaire me demande : et vous, vous faites quoi ? Balbutiement. « Artiste » mais … euh. Pas facile de se dire artiste. Trop pédant. Trop péteux. Trop. Mais comment se définir si « on » n’ose pas des mots qui nous disent, un peu ? J’sais pas. J’fais des photos et des illustrations. Et puis des livres aussi.

Le notaire, pas sûr qu’il m’écoute vraiment.  » Vous avez un site » ? Bah oui.
Alors, sur son écran de coin, là où il fera défiler les pages d’une donation qui finalement ne s’écrira pas (« tout revient légalement à vos enfants, monsieur, quoi qu’il arrive »), il fait apparaître ma vitrine web.

Le notaire, volubile, clique et reclique.

« Monsieur le Notaire, mon père voudrait savoir… ». Il s’en fout presque : « Rassurez-vous… », assure-t’il. Le notaire navigue. C’est un peu drôle (il tape d’un doigt), un peu pathétique, un peu triste et un peu joyeux. Le notaire a sans doute l’habitude des situations improbables. L’habitude qu’un père vienne s’assurer que sa descendance héritera du peu qu’il laissera si la maladie […].

Le notaire clique et se lance dans un exercice de rhétorique comme il doit aimer en faire – je crois qu’en tant que père, il a dû raconter par mal d’histoires à sa fille – des jolies, j’espère.

Il fait défiler les pages et se lance dans l’attendu « si j’étais vous ». « Si j’étais vous, je ferai, je dirai, je ci je ça ». J’ai tout oublié. Parce que ce genre de monologue (de la verge) m’exaspère, parce que le contexte me laisse songeuse – mon père, malade, un peu, croyais-je, espérais-je sans doute. Je le pleurerai pas longtemps après, mon vieux pourtant pas vieux.

« Vous savez, me dit le notaire, en me fixant de ses yeux très bleus, vous avez la chance. Moi ? Je fais un métier nécessaire. Nécessaire. Alors que vous, vous faites du superflu, oui, mais du superflu vital ».

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