Préambule et rapide compte-rendu de la rencontre avec Nicolas Legendre.

Silence et violences du monde agricole.
L’autre jour, je vous l’ai annoncé ici – j’allais à la rencontre de Nicolas Legendre, l’auteur de Silence dans les Champs. Plus une causerie sans que l’on me demande : « Vous connaissez Nicolas Legendre ? »
Oui un peu. C’est un des rares livres que j’ai achetés ces derniers mois – j’en achète peu, je vais à la médiathèque.
Je l’ai acheté pour faire plaisir à mon libraire et parce que cet ouvrage me semblait quand même incontournable – au vu de mon sujet. Je l’ai acheté et feuilleté. (Parfois, j’oublie un livre que je me sens « obligée » de lire. C’est mon côté verseau, ça : ça déteste les obligations.)
jolie plume
Bref. J’ouvre et commence ma lecture. Et là, claque, double-claque. D’abord, Nicolas écrit très bien et c’est très touchant. Il raconte ses mômes qui dorment, et moi ça ma rappelle que les miens sont déjà trop grands pour que je les câline le matin. M’enfin. Je lis et je me prends dans la tête une bouffée de ( ?) de témoignages qui racontent tout ce que je sais : ce monde agricole, parfois terrifiant de connivences.
Mais si Nicolas observe le monde agricole – avec le recul que cela autorise -, cela me ramène moi à ce que j’ai vécu, dans ma chair. J’ai mis longtemps à réaliser, mais ce qu’il raconte, les violences, les intimidations, tout ça, je l’ai vécu. Sans réaliser alors. Sans percuter de suite.
Silence du monde agricole
L’habitude d’un monde rural, dur, rude souvent, qui accepte la violence comme un « fait normal » ? Il est vrai que je viens de ce monde-là, et que chez moi, fallait pas chialer (même une fille). Fallait pas chialer et surtout, fallait rien dire et rien laisser paraître. Même si rien tournait rond.
Bref. J’ai feuilleté quelque 100 pages de Silence dans les Champs avant de jeter l’éponge.
Trop rude, celle plongée en ce monde agricole. Dans ce monde-là du moins – celui « classique », le mot conventionnel étant banni par Nicolas Legendre. (« Ça veut dire quoi ? »).
J’ai donc fini par solliciter Nicolas Legendre, encouragée par Rémi Mer (un spécialiste de la question agricole, et témoin dans Paysômes), histoire de croiser un peu le regard et d’en savoir plus sur l’homme, son livre, ses sentiments.
J’avoue avoir été un peu brute de pomme lors de notre échange téléphonique. J’avais l’envie d’un regard croisé. Mais le journaliste, tout dans son tourbillon d’interviews (suite à son livre récompensé du prix Albert Londres) me prévient : « Je n’ai pas eu le temps de lire votre livre » et d’ajouter « Mais il est très beau ». Merci : je prends quand même. (Permettez !)
Oui, sûr, j’aurais apprécié qu’il appréciasse Paysômes : si son bouquin doit se vendre comme des p’tits pains au chocolat, le mien ne bénéficie que d’une communication conscrite (à mon énergie et à ma dispo). Même si je n’attends pas une validation de mes compétences, un coup de pouce peut être bon à prendre. Voilà qui est dit. (Je vous ferai part de son retour en temps voulu, si un jour Nicolas a le temps.)
***
Car Nicolas est convivial. Me voilà chez lui, en Ille et Vilaine.
Le journaliste propose de nous tutoyer. Très bien. Simplicité. Et d’embrayer. « Je ne suis pas un journaliste de « révélations » ». Lui préfère l’enquête au long court. « Silence dans les Champs » en témoigne : 7 ans passés à collecter les histoires.
L’entretien sera diffusé dans le podcast*.
Qu’en dire ? en court ? Tant de choses ont été brossées.
Le journaliste est pointu. Cite des études. Je repars avec encore 3-4 auteurs à lire. Ou à rencontrer.
violences
Quelques punchlines émergent de l’échange, dense et pointu.
« Les violences [contre ceux qui ouvrent leur gueule, pour faire clair] ne sont pas systématiques mais systémiques. »
Pendant l’échange, forcément, il aura beaucoup été question du « système ». Ce que je lui demanderai d’expliciter. C’est le « système agro-industriel » avec toutes ses composantes, ses acteurs tous en lien plus ou moins directs. Les paysans, évidemment et tout ce monde qui gravite autour. Allons, citons. Les fournisseurs de matériel (tracteur, machines), d’engrais, de produits, les vétos, les comptables et tous les conseillers, les chambres et les autres groupements, les banques (dont l’énorme Crédit Patate comme il se disait chez moi), les assurances (son gros acteur Groupama), les établissements scolaires (et de pointer l’énorme prévalence de l’enseignement privé en Bretagne), et puis, car non, ce n’est pas fini, l’aval avec l’agro (les usines et le monde agroalimentaire) et la GMS. A cela, pourrait d’ailleurs s’ajouter les fonctionnaires d’Etat qui travaillent au contrôle, à la surveillance […].
Si cette énumération à la Prévert (mais avec moins de verve) est faite, c’est pour évoquer – de fait – l’inertie de ce monde bien huilé. C’est aussi l’occasion de rappeler – et nombre de paysan.nes s’en offusquent – que moins ils sont, plus il y a de gens autour. (De quoi questionner éventuellement sur des (nouveaux) métiers dont l’utilité n’est parfois pas évidente.)
Cela fait un « système » complexe, qui tourne pas rond toujours mais qui produit du PIB et s’en contente – et on le sait, le B du PIB ne signifie pas bonheur.
Et il est où le bonheur ?
Car s’il est un point qui m’interpelle et sur lequel je veux revenir, c’est l’humain.e. Quid de lui ? des paysan.nes ? des salariés de l’agro aussi ?
Nicolas Legendre évoque la « loi du plus fort », celle qui a cours dans ce monde agricole contemporain. Et de citer La figure agricole : Alexis Gourvennec (fondateur de la Sica de Saint Pol de Léon, un « exemple » de réussite à la bretonne). Lui avait planté le décor : le légumier-homme d’affaire avait invité à « se débarrasser des minables », sous-entendus des moins productifs (englobant souvent ceux qui pensaient « autrement »), cela il y a déjà 40 ou 50 ans.
On évoque les difficultés actuelles que rencontrent la filière bio. « Dans les années 2010, on a cru que cela allait changer », se souvient le journaliste. Effectivement, moi la première. Dans mes champs, je me disais qu’on nourrirait les Gens et les Jeanne « mieux ». Des signes politiques s’esquissaient : oui à la bio dans les cantines. Nicolas Legendre cite le Ministre Le fol, l’un des plus « écolo » passé par le puissant ministère agricole. Et puis.
Et puis « le mammouth qui se réveille ». « Il était couché le mammouth ! » Couché, blessé. Moribond mais vivant. Et bien décidé à lutter. La loi du plus fort toujours, appliquée d’abord à soi.
Jusqu’où ça va aller ? pourquoi ?
inertie pas inerte
On en arrive aux tenants du système. Toujours les mêmes. 20-30-40 ans plus tard aux commandes. Toujours si peu de femmes. Nicolas Legendre confirme : l’ex-génération de jeunes agriculteurs, ceux qui se sont opposés violemment aux « pères » (ces hommes de l’entre-deux-guerres qui y aillait molo, vers la modernité), ont voulu le pouvoir, l’ont pris mais ne sont pas prêts à le céder. Les paysans sont devenus des parvenus, des bourgeois attachés à leurs privilèges et à leur pouvoir.
A la question des paysans heureux – que j’évoque, j’en rencontre -, il réagit : « Oui, il y a en a bien sûr. Mais globalement, c’est un monde qui va mal ».
un mammouth et des hommes à déconstruire
Nicolas n’a pas encore lu mon livre mais on raconte beaucoup de choses similaires. Sans naïveté, j’ai tenu à mettre en avant ces Autres, ceux qui, contre vent et marées, croient en une agriculture alternative.
Des hommes déconstruits ? Marc, ex-paysan, rencontré à l’occasion du bouquin, évoquait précisément la « déconstruction » – nécessaire – des hommes.
Avis à qui veut, parmi ses messieurs : il monte un groupe d’homme pour parler virilité. Et qu’on se le répète (qu’on le répète à nos gosses) : la virilité ne passe pas par avoir ni Avoir le Plus gros. Je crois qu’on a encore du boulot. Allez, les filles, et les gars.
L’entretien, qui disons-le, n’est pas gai gai.
Publier du contenu comme celui-ci s’impose à moi (par sens, par envie de comprendre mon monde). J’ignore si cela vous intéresse, vous touche. Vous pouvez d’ailleurs réagir.
Reste que sur la route du retour (et cette plongée dans ma vie antérieure de paysanne), je me suis rappelée des joies qui étaient les miennes quand je m’émerveillais de la biodiversité sur la ferme, de la beauté des choses simples – quand je me demandais à quoi bon ?
Tout ça pour dire que, si cela peut/a pu me sembler futile et facile, je vais aussi continuer de diffuser des « belles » images. Quoi de mieux, de plus fort, pour donner envie de préserver notre planète ?
Johanne
Le livre Paysômes est dispo à la vente et oui, il y a de jolies images mais pas que.

Bientôt l’entretien dans le podcast « Je sème, tu sèmes, on sème », sur Ausha.
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Mon travail de « vulgarisation » autour de l’agriculture
Si jamais vous cherchez une intervenante (j’insiste sur le une car un regard de femme est aussi plus rare), sachez que j’aime à échanger sous forme de causerie conviviale ou de conférence.
Pour être claire : si le contenu est citoyen, je me refuse à rester dans le « politicien » et le caricatural. J’ai toujours plaidé pour que chacun.e endosse ses responsabilités. Il est donc hors de propos de tirer à boulet rouge ou vert sur une profession. L’idée est de témoigner, surtout et avant tout, de la réalité du monde paysan alternatif.
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